Page:Ruskin et la religion de la beauté.djvu/231

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esthéticiens gesticulant dans leurs chaires, se ramènent à cette question : quel parti prendre devant la Nature ? Et des réponses qu’ils se font dérivent toutes les différences des écoles, sous-écoles, sectes et ateliers. Or, si l’on débarrasse la question des verbiages et des équivoques qui l’enrichissent, elle se pose dans les champs aux témoins des splendeurs de la Nature sous la même forme qu’elle s’impose dans les cours d’assises aux témoins des crimes des hommes : — Dirai-je la vérité ? Dirai-je toute la vérité ? Ne dirai-je rien que la vérité ? se demande le paysagiste sous son parasol, le statuaire en face de son ébauchoir, le portraitiste en tournant et en retournant autour de son modèle. Dessinerai-je ce chêne, comme il m’apparaît, dans son ensemble, sans rien y ajouter, sans fausser son aspect, mais en massant son feuillage et en oubliant quelques branches qui me paraissent inutiles à sa beauté, — en d’autres termes, dirai-je la vérité ? Le dessinerai-je dans ses moindres détails, et en faisant ressortir avec la même netteté jusqu’aux incidents et aux aspects qui me plaisent le moins, — en d’autres termes, dirai-je toute la vérité ? N’ajouterai-je pas au thème que me fournit ce chêne, toutes les améliorations, tous les embellissements, toutes les autres idées de chênes que je puis avoir, en un mot ne dirai-je