Page:Ruskin et la religion de la beauté.djvu/243

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que nous, il saura pourquoi il brûle, le dessous des choses, et — s’il s’agit du savant en face de la Nature — les convulsions profondes de cette machine humaine où notre âme est logée, de ces terres et de ces mers qui nous portent, mais, ce jour-là, il n’y aura plus d’art possible et le spectacle sera fini.... Tant qu’il dure, ce n’est pas en savant, c’est en voyant, qu’il faut le regarder. C’est simplement avec les yeux d’un homme en bonne santé et avec le cœur d’un amoureux qui ne cherche qu’à admirer :

Turner, dans la première période de sa vie, était quelquefois de bonne humeur et montrait aux gens ce qu’il faisait. Il était un jour à dessiner le port de Plymouth et quelques vaisseaux à un mille ou deux de distance, vus à contre-jour. Ayant montré ce dessin à un officier de marine, celui-ci observa avec surprise et objecta avec une très compréhensible indignation que les vaisseaux de ligne n’avaient pas de sabords. « Non, dit Turner, certainement non. Si vous montez sur le mont Edgecumbe et si vous regardez les vaisseaux à contrejour, sur le soleil couchant, vous verrez que vous ne pouvez apercevoir les sabords. — Bien, dit l’officier, toujours indigné, mais vous savez qu’il y a là des sabords ! — Oui, dit Turner, je le sais de reste, mais mon affaire est de dessiner ce que je vois, non ce que je sais. »

Ce qu’on voit, non ce qu’on sait, ce qu’on ressent, non ce qu’on comprend, — telle est la vérité esthétique opposée à la vérité scientifique et telle est la