Page:Ruskin et la religion de la beauté.djvu/244

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vérité que l’art doit, du plus près possible, rendre et, pour la rendre, pénétrer. Les savants qui prétendent montrer aux artistes les choses comme elles sont, respectent-ils le plan de la Nature ? Non, ils le violent, car son plan est souvent de nous montrer les choses justement comme elles ne sont pas. Et reproduire les poulpes qu’elle cache au fond des eaux sombres, les os qu’elle cache au fond des chairs opaques, les mouvements qu’elle dissimule par la rapidité avec laquelle ils sont exécutés, en un mot montrer, en toute chose, l’aspect qu’elle a dissimulé à nos yeux, ce n’est nullement la suivre ni lui être fidèle, — c’est la trahir. Or toute trahison se paye et la Nature ne se donne pas, avec sa beauté, à l’artiste qui l’a interrogée sans respect et dépouillée sans amour. Elle se donne à qui l’a aimée. Elle s’est donnée aux Grecs qui l’ont regardée dans sa pureté plastique vivre, agir, rougir, pâlir, frissonner devant eux.... Les Grecs l’ont regardée le jour, à l’air libre, sous le ciel bleu de l’Attique, selon son dessein, comme elle veut être vue — et ils ont saisi sa beauté ? L’étude du nu, c’est la science de la vie.

Les savants de la Renaissance, eux, l’ont regardée avec des yeux d’enquêteurs et d’indiscrets. Ils ont mis le muscle à vif, ils ont fait l’anatomie du corps humain. Ils ont fouillé dans les chairs, la nuit, à la