Page:Ruskin et la religion de la beauté.djvu/84

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à chaque œuvre importante qu’il analyse, il prescrit à ses auditeurs de se souvenir que cet artiste est le plus grand qui ait jamais vécu, cette œuvre la plus parfaite, sans lui-même se souvenir qu’il a déjà donné cette place unique à cent autres de la même espèce. Pendant un certain temps, ce fut une mode, à Oxford, parmi les profanes, de demander aux ruskiniens : « Quel est le plus grand peintre de tous les siècles, aujourd’hui ? Hier, c’était Carpaccio… » Le professeur s’enthousiasmait aussi pour les œuvres de ses élèves, leur attribuant mille mérites imaginaires, déclarant, par exemple, qu’il avait rencontré une jeune Américaine qui dessinait admirablement, si bien qu’après avoir dit jadis qu’aucune femme ne pourrait bien dessiner, il était tenté de penser que nul ne pourrait dessiner, sinon les femmes. Et le même jour, il avait découvert deux jeunes Italiens, à ce point pénétrés de l’esprit de leur art primitif, que « jamais mains semblables ne s’étaient posées sur un papier depuis Luini et Léonard… ».

Cet enthousiasme s’exhale quelquefois en éclats comiques. On conçoit quel est le dédain du maître pour l’instruction qu’on donne d’ordinaire dans les écoles populaires, pédante et dogmatique, sans souci de former l’habileté manuelle ni d’exciter le goût esthétique chez l’ouvrier. Un jour, un maçon