Page:Ruskin et la religion de la beauté.djvu/95

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acheminé vers un grill-room, et comme, tout en lunchant, il continuait de parler, peu à peu les assistants laissèrent leurs sandwiches et leurs buns et se groupèrent autour de lui, silencieux, pour recevoir cet aliment spirituel qu’il leur dispensait.

Ainsi la légende veut qu’il n’ait pas enseigné seulement dans les synagogues, mais aussi sur les places publiques, au milieu de la vie profane et de ses soins vulgaires. Elle veut aussi qu’il apparût soudainement là où il y avait une âme d’artiste à réconforter, un enthousiasme à ne pas laisser éteindre. Un malin, au Louvre, deux lecteurs assidus de ses œuvres, mais ignorants de ses traits, se trouvaient devant les Pèlerins d’Emmaüs que l’un d’eux s’appliquait à copier. Un vieillard s’approche, lie conversation, leur parle du tableau de Rembrandt, leur avoue qu’il l’a copié lui-même autrefois, s’anime, semble rajeunir au souvenir des temps héroïques de l’art, et voici que dans ses yeux passe un éclair qui les fait frissonner… Puis il les invite à déjeuner à son hôtel et ce n’est qu’en rompant le pain qu’ils découvrent que le Maître est devant eux : Ruskin ! Et sûrement ils se disent en s’en allant, comme les pèlerins du vieux tableau qu’ils contemplaient deux heures auparavant : « Notre cœur n’était-il pas ardent