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Page:Russell - Le Mysticisme et la Logique.djvu/95

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savons de la formation des idées morales. La morale est essentiellement un produit de l’instinct grégaire, c’est-à-dire de l’instinct de coopération avec ceux qui sont de notre groupe à l’exclusion de ceux qui n’en sont pas. Ceux qui appartiennent à notre groupe sont bons ; ceux qui appartiennent à des groupes ennemis sont mauvais. Les fins que poursuit notre groupe sont désirables, celles que poursuivent les groupes ennemis sont funestes. L’animal grégaire n’aperçoit pas la subjectivité de cette attitude et croit que les principes généraux de la justice sont de son côté. Lorsque l’animal atteint la dignité de métaphysicien, il invente la morale pour objectiver ses croyances en la justice de son groupe. Tel le Grand Augure qui invoque la morale pour justifier les Augures dans leur conflit avec les pourceaux. Mais, dira-t-on, à considérer la morale de ce point de vue, on néglige de véritables idées morales, telle que l’idée de sacrifice. C’est là une erreur. Le succès des animaux grégaires dans la lutte pour la vie dépend de la coopération à l’intérieur du groupe, et la coopération exige le sacrifice, dans une certaine mesure, de ce qui serait autrement l’intérêt de l’individu. Il naît ainsi un conflit des désirs et des instincts qui s’explique par le fait que l’individu a pour fins, tant la préservation de l’espèce que la préservation de soi. La morale est, à l’origine, l’art