Page:Russell - Le Mysticisme et la Logique.djvu/96

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de préconiser aux autres les sacrifices nécessaires à la coopération avec soi-même. De la, on en est venu à la réflexion, par le jeu de la justice sociale, à préconiser le sacrifice en lui-même ; mais toute morale, quelque raffinée qu’elle soit, demeure plus ou moins subjective. Les végétariens eux-mêmes n’hésitent pas, par exemple, à sauver la vie d’un homme qui a la fièvre, en dépit du fait qu’ils détruisent du même coup plusieurs millions de microbes. La philosophie fondée sur la morale n’envisage donc jamais le monde d’un point de vue impartial, et, en conséquence, n’est jamais scientifique. Si on compare son point de vue à celui de la science, on voit qu’il, ne réussit pas à se libérer intellectuellement du moi, chose nécessaire à la connaissance du monde à laquelle l’homme peut espérer parvenir ; et la philosophie qui s’en inspire est toujours plus ou moins « d’intérêt local » (parochial) et se ressent plus ou moins des préjugés, du milieu et du temps.

Je ne nie, ni l’importance, ni la valeur, dans son domaine propre, de cette espèce de philosophie qui s’inspire des idées morales. L’éthique de Spinoza, par exemple, me paraît du plus grand intérêt, mais ce qui compte dans cette œuvre, ce n’est pas la théorie métaphysique du monde qu’elle a pu inspirer, ce n’est même rien, en réalité, qui puisse être infirmé