Page:Ryner - L’Homme-fourmi, Figuière.djvu/104

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reçues ; peut-être mon étourdie me tuerait avant la fin de mon année et je n’aurais à mon agonie que les froides consolations d’Aristote, neutre comme moi et fière, elle, d’être neutre et, telle une nonne chaste, méprisante pour l’amour inconnu ! Parfois j’injuriais la fée qui ne m’avait point garanti la traversée de cette année ; qui, peut-être, voulait, en me laissant mourir fourmi, se délier de ses autres engagements. Et un long désespoir l’appelait, homme dressé hagard sur mon cerveau gauche. La bouche ouverte criait : « Rends-moi l’amour ! rends-moi l’amour ! » Elle disait aussi : « Garde ton million ». Mais la phrase, commencée très haut et très net, se perdait dans un indistinct bredouillage. Car des corps de femmes m’apparaissaient, merveilles à vendre, et j’aurais bien voulu pouvoir me les payer.

Les joies des spectacles et les joies de la science faisaient rire ma pensée gauche. Je n’ignorais plus que la science humaine étudie l’univers de bien pauvres yeux et en redevenant homme je savais que j’irais à l’appauvrissement décoloré du spectacle. Mais le baiser, presque méprisé autrefois, réapparaissait maintenant comme un absolu, comme la seule chose vraiment bonne, vraiment désirable.

Je marchais isolé dans ma songerie. Tout à coup, je m’arrête, étonné. Deux masses énormes, deux de ces terribles « montagnes qui marchent