Page:Ryner - L’Homme-fourmi, Figuière.djvu/105

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sur deux pieds » sont là, devant moi, étendues sur l’herbe, côte à côte. Dès que fut remarqué le soudain spectacle, avant même qu’en fût reconnue la nature et aidant sans doute pour beaucoup à cette reconnaissance, l’odeur ignoble, qui deux fois déjà me cria des présences humaines, m’envahit. Peut-être ne l’avais-je point sentie plus tôt parce que je pensais uniquement en homme et que la pensée perverti jusqu’à nos sens.

Il me sembla que les deux êtres s’étreignaient. Et mon âme humaine pleura.

Les proportions et les couleurs étaient trop changées pour que je puisse distinguer les gens les mieux connus pendant ma vie antérieure. Cette hypothèse jalouse me pinça les nerfs : « C’est peut-être ma femme avec mon remplaçant ! » Au risque de me faire écraser, je grimpai sur une partie dénudée de la montagne la plus voisine et, furieusement, à deux reprises j’enfonçai mon aiguillon. La double plaie béante reçut toute ma provision de venin. Mais la montagne s’agita en puissants sou-bressauts et une fuite éperdue m’emporta.

Quand je me crus hors de danger, je me reprochai ma témérité. La vie me devenait précieuse comme une angoisse finissante, puisqu’elle me rendrait un jour le baiser.

Ma course sans but m’avait conduite en des contrées inconnues. Je me disposais à revenir vers la fourmilière, quand j’aperçus, assez loin