Page:Ryner - L’Homme-fourmi, Figuière.djvu/111

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Mon cerveau droit me poussait à me jeter sur l’étrangère qui sentait si mauvais et à la déchirer, ou plutôt à appeler mes amies et à boire en une puissante griserie commune le plaisir cruel. Mais mon esprit gauche me rappelait, attendri, les dangers courus l’autre jour, confondait en une sympathie mon péril passé et ce péril présent. En moi l’homme triompha de la fourmi. Ce jour-là, je fus humain, au beau sens du mot.

Je courus à la misérable. Elle s’arrêta, attendit la mort avec résignation. Mes antennes lui dirent.

— Viens, je vais te conduire.

Ses antennes répondirent des frôlements qui pour moi, n’avaient aucun sens. Et je songeai : « Chaque patrie a son dialecte qui met entre elle et les autres patries une frontière d’incompréhension. »

Heureusement, ma pensée d’homme se souvint que le langage analytique seul diffère. Les gens des nations diverses peuvent par des gestes se dire synthétiquement l’indispensable, et le baiser a le même sens par tous pays humains. Sans doute, une musique affectueuse devait éveiller chez toutes les fourmis les mêmes émotions heureuses. Je stridulai des pitiés.

Une harmonie de stupéfaction me répondit. Je marchai en avant. On ne me suivit pas.

Je revins et je pris la pauvrette entre mes mandibules. Elle me regarda comme le condamné