Page:Ryner - L’Homme-fourmi, Figuière.djvu/136

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de loin. Bientôt, elle disparaît dans cette affreuse cohue frissonnante. Je me sens seule, au milieu de l’égoïsme des désespoirs.

Elle revient, la vaillante, l’ingénieuse, celle aux mille ressources. Ses antennes disent :

— Nous sommes sauvées. Suivez-moi. Mes antennes tressaillent sur les antennes les plus voisines :

— Aristote dit que nous sommes sauvées. Suivez-nous.

Le mot d’ordre se transmet, rapide, à toute la foule. La plupart viennent. Plusieurs ont perdu toute vaillance, toute force d’espoir et restent là. stupides, attendant la mort ou le miracle.

Ah ! la marche difficile et dangereuse, parmi les fleuves inconnus et les mers inattendues creusés par l’orage, sous la pluie contondante, sous la grêle qui tue, sous le flagellement des herbes et la chute des branchages, dans le long effarement tâtonnant de la nuit, dans l’affolement brusque des éclairs ! Combien de nos amies sont mortes, noyées ou écrasées ! Combien se sont égarées, errent isolées à travers l’immense fondrière des périls !

J’ai l’impression angoissante que notre nombre diminue à chaque pas. Je n’ose regarder autour de moi, constater combien nous sommes peu, combien nous sommes moins. Et j’ignore où nous allons, armée à chaque instant décimée, armée