Page:Ryner - L’Homme-fourmi, Figuière.djvu/137

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vagabonde et sans refuge, armée continuellement battue sans combat.

Maintenant nous descendons, chute qui roule et qui se bouscule, les deux marches gigantesques vers lesquelles on va si rarement. Et au pied de l’escalier, dans une boue gluante, enlisante, sous la colère diminuée de la pluie, mais sous la rage nouvelle d’une cataracte, nous nous arrêtons.

La lueur d’un éclair frémit, me montre Aristote qui travaille. Ses mandibules grattent la terre mince, rouvrent la galerie creusée l’autre jour pour introduire la chenille en nos trésor. Je comprends. Une joie de délivrance et de triomphe me soulève. Et les musiques que je stridule donnent à nos compagnes un espoir ignorant mais puissant.

Nous rentrons dans la cité dont nous nous crûmes exilées pour mourir. Par de longs et prudents détours nous pénétrons aux souterrains les plus bas. L’orage y a chassé nos ennemies. Nous les attaquons dans la nuit profonde, dans leur sommeil ou dans le sursaut effaré d’un réveil plus paralysant qu’un cauchemar. Depuis longtemps, le cratère inondé a rendu inabordable, elles le savent, l’entrée de la fourmilière et elles ne peuvent concevoir que nous sommes là. La stupeur nous les livre presque toutes immobiles. Une fuite éperdue en jette quelques-unes dans le labyrinthe obscur de nuit, obscur d’ignorance, obscurci de terreurs. Éclairées des flambeaux mouvants de nos