Page:Ryner - L’Homme-fourmi, Figuière.djvu/145

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quand êtres et choses ne cèdent pas à notre désir, à notre effort, à la puissance de notre génie et de notre vouloir. La fourmi a un vif sentiment de sa supériorité et ne comprend pas que tout ne s’incline point devant le geste orgueilleux de ses antennes. Elle est l’autoritaire exaspéré par la résistance, l’être qui mérite beaucoup, qui croit mériter tout, et qui s’indigne d’un refus des choses comme d’une intolérable injustice, et qui donne à cette injustice de furieux assauts jusqu’au triomphe ou jusqu’à la mort. Gourmandise, orgueil, colère, nous ne connaissons que trois péchés capitaux (car ils se sont montrés de bien superficiels calomniateurs ceux qui nous accusèrent d’avarice, et nous sommes envers nos compatriotes toute générosité), mais nos trois péchés capitaux valent vos sept à vous, pauvres hommes aux passions amorties par tant de servitudes, à vous qui mêlez au vin déjà peu généreux de votre nature tant d’eau du bourbier social.

Nos trois folies, ici, nous poussaient dans le même sens, nous heurtaient au même fond d’impasse, devenaient une fièvre de plus en plus exacerbée. La nuit, nous rêvions de pucerons. Nos antennes s’agitaient, du mouvement vif et alterné qui caresse l’abdomen de l’animal pour lui demander la goutte sucrée. Au matin, nous nous réveillions malheureuses, indigentes parmi nos richesses