Page:Ryner - L’Homme-fourmi, Figuière.djvu/169

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XXVI

Les amours les plus désespérées ont la ressource du rêve. Mon amour était privé même des plus irréelles voluptés : il n’avait de refuge ni dans l’avenir, ni dans le passé, ni dans l’hypothèse. Je n’avais pas les organes correspondants à mes désirs fous et, damné qui hurle vers le ciel inconnu, je ne pouvais imaginer les bonheurs dont l’absence me torturait.

Une maladie de langueur peu à peu affaiblit mes membres, amollit mes mouvements. Je me sentais tomber dans la mort, mais je n’avais pas le courage d’essayer de remonter ni même, par un geste presque réflexe, de m’accrocher au bord de la chute. L’ombre de baiser que connaissent les hommes n’était plus une promesse suffisante, ne pouvait plus m’entraîner au moindre effort. Puisque je ne connaîtrais pas la riche caresse des fourmis ailées, que m’importaient toutes choses ? Par la lugubre immobilité qui serait l’exil définitif de toute joie, mais qui serait aussi la fin de la douleur, lentement, sans résistance, je me laissais envahir. Si, dans cette période lâche, je ne tuai point Marie, c’est que, précisément, j’étais trop