Page:Ryner - L’Homme-fourmi, Figuière.djvu/191

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pas d’enfants à voler, elles se préoccuperont de sortir. Profitons du répit pour nous éloigner avec notre famille. Ici nous sommes trop près : nous serions sûrement découvertes.

Il fut très difficile de nous décider à ce nouvel exil. Tout à l’heure, du moins, en quittant l’ancien nid, nous savions vers quel abri nous nous réfugions. D’ailleurs, nous restions sur notre territoire, près de nos champs, près de l’arbre aux pucerons, au milieu de tout ce pays auquel nous étions attachées comme –des filles à leur mère et à la fois comme des mères à leurs enfants ; car ses lignes, ses couleurs, ses odeurs, ses sonorités avaient formé notre esprit, et notre esprit, avec nos mandibules, instruments frêles mais nombreux et patients, l’avaient transformé. Quitter ces lieux familiers auxquels nous étions adaptées et que nous avions adaptés à nous, n’était-ce pas, en quelque sorte, perdre la lumière même, et l’odorat, et la volupté d’entendre, et le frémissement heureux de toucher, puisque nous ne rencontrerions plus que des objets étrangers, blessants d’inconnu, hostiles et effrayants comme ces formes vagues entrevues dans les ténèbres ?

La raison cependant l’emporta. La retraite fut organisée savamment. Hannibal, qui connaissait mieux les environs, marchait en avant, sans fardeau pour que rien ne troublât son sens de la direction. Quelques soldats l’accompagnaient, les