Page:Ryner - L’Homme-fourmi, Figuière.djvu/67

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

Aristote me regarda, étonnée, fit une musique consolatrice, d’abord tendre et basse comme une berceuse, mais qui, peu à peu, montait à des vaillances. Et ses antennes demandèrent :

— Qu’as-tu ? Jamais fourmi ne pleura une note aussi poignante…

Je la sentis si amicale, si maternelle que je la voulus pour confidente. J’émis des mélodies de confiance et d’abandon. Ce fut comme si,, homme, j’avais appuyé ma tête trop lourde sur un cœur sûr.

Et mes antennes essayèrent de conter :

— Il y a deux jours, j’étais un homme. Une puissance surnaturelle m’a transformé en fourmi. Mais ma pensée ancienne revient souvent, cruelle comme un ennemi chassé de la ville et qui, éternellement, sans jamais se lasser, ouvre de nouvelles brèches et recommence l’assaut. Tout à l’heure, elle m’a fait regretter que je ne sois pas un mâle et que, toi que j’aime, tu ne sois pas une femelle… Dis, chérie, pourquoi n’avons-nous point d’ailes pour aller nous aimer dais l’azur ?

Elle me regarda comme on regarde un fou. Et elle dit, avec une musique de stupéfaction et de pitié que traduirait peut-être tel de vos branlements de tête :

— Tu as rêvé que tu étais homme… J’ai eu bien des cauchemars dans ma vie ; je n’ai jamais eu de cauchemar aussi laid.