Page:Ryner - La Sagesse qui rit, 1928.djvu/141

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nieuse activité interne. Le puissant effort de la raison épicurienne m’affranchit des erreurs et des excès du désir. Il sait même me libérer d’un présent qui, isolé, semblerait souffrance, me plonger dans le vaste bassin qu’est l’ensemble de ma vie, écouter dans la note que pleure l’instant toute la musique passée, toute la musique future, me faire jouir de moi tout entier comme d’une harmonie.

Il reste peut-être dans cette doctrine quelque odeur d’égoïsme et je crois qu’elle ne me satisferait point comme discipline exclusive et définitive. Du moins Épicure n’a rien d’agressif. Le spectacle des tempêtes que soulèvent les folies voisines fait valoir à ses yeux, par le contraste, son calme et sa sécurité ; mais il ne crée pas son bonheur en créant des douleurs étrangères, il ne dresse pas sa grandeur en courbant la servitude d’autrui. Plusieurs stoïciens le considèrent comme un sage ou, suivant le mot de Sénèque, comme un héros vêtu en femme, Vir stola indutus.

Même l’impression d’égoïsme que donne parfois l’éthique épicurienne ne serait-elle pas trompeuse ? Épicure semble ignorer la vaste « charité du genre humain », gloire du stoïcisme. Enfermé au jardin des sobres délices, il n’y laisse pénétrer aucune sympathie apparente pour les fous et pour ces