Page:Ryner - La Sagesse qui rit, 1928.djvu/19

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pour un refuge définitif, je ne savais — je n’ai plus aperçu que ruines. Au seuil des ruines, un cri s’est dressé, archange de flamme qui interdit l’entrée. Rappelle-toi, mère, un souvenir que jusqu’ici j’ai toujours enfermé. Rappelle-toi cette nuit où mourut un de mes frères et quelle clameur réveilla mon sommeil d’enfant. Ah ! le blasphème qui ouvrait tes lèvres comme une blessure était plus pieux, plus humain, plus toi, plus ton cœur, que tes coutumières prières. Tes prières, mère chérie, te venaient d’une vieille accoutumance. Non, tes prières n’étaient pas tiennes. La routine te les avait apprises. Elles étaient une de tes limites et une de tes défaites, ces prières où je ne sais qui remuait tes lèvres, de je ne sais quel lointain, à travers je ne sais combien de siècles. Mais ton blasphème, où le doute et la malédiction enlaçaient un nœud douloureux, agitait, lui, une lumière vraiment jaillie de tes profondeurs. Elle m’a éclairé souvent, la lumière de ton abîme.

Je n’osai jamais te dire ma pensée, fille pourtant de ton désespoir et de ton cri. Tu aurais d’abord reculé, effrayée, devant ta beauté et ton courage inconscients. Mais, depuis cette nuit déchirée, j’ai senti impossible que la Cause — tu m’avais appris, parce qu’on te l’avait appris, à