Page:Ryner - La Sagesse qui rit, 1928.djvu/223

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l’alternative : m’abstenir ou prendre en secret. Les deux procédés sont absurdes.

Ce qui me sera mille fois plus indifférent que le pain et ma vie, c’est la loi positive et la prétendue loi morale, les deux odieux et ridicules impératifs. Je prendrai le pain par nécessité physique et aussi pour manifester mon mépris de l’artifice légal et du mensonge moral. Tranquillement, — insolemment, diront les imbéciles — je le mangerai assis sur le seuil même du boulanger. Et j’attendrai en souriant quelles folles conséquences la société tirera de mon geste de sagesse.

Impératif catégorique, devoir, ah ! les mots grotesques… À qui est-ce que je dois le prétendu devoir ? Où est le créancier dont je serais le débiteur et quel bien m’a-t-il fait pour avoir le droit de me faire tant de mal ? Est-ce à moi-même que je devrais ? Est-ce moi-même qui me commanderais brutalement comme un caporal ou un maître d’esclaves ? Oh ! alors, je me remets ma dette en souriant.

Au nom de mon propre bonheur, je ne puis que me conseiller et me persuader. Mais toute autre fin me touche de moins près et, si je ne suis pas un fou, a moins d’autorité sur moi.