Page:Ryner - Le Présent du berger, paru dans Le Radical, 17 mai 1914.djvu/9

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Puis d’un ton moins âpre :

— Je suis pas plus mauvais qu’un autre. Viens avec moi jusqu’à l’étable ; je te donnerai un agneau… Mais si tu veux pas que je me fâche pour toujours, me demande plus des choses qui se peuvent pas. Laisser un autre sortir sur la Bonne-Mère, autant arracher mon cœur de ma poitrine pour le mettre dans la tienne !

Depuis un mois, Bernard revoyait toujours la scène : tous ces pauvres visages décharnés, tous ces pauvres yeux gonflés. Il revoyait surtout la femme, cette Marie aux traits si douloureux qu’elle ressemblait à la Pieta de l’ancien couvent. Il avait beau chasser ces images comme des ennemis, elles revenaient obstinément. Quelque chose comme un remords les accompagnait. Il y avait en lui une manière de voix qu’il ne voulait pas entendre, qu’il faisait taire, à laquelle il disait des injures. Malgré tout, il n’était pas loin de l’entendre, la voix tenace. L’idée ne