Page:Ryner - Le Subjectivisme, Gastein-Serge.djvu/30

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

jeune homme resserrait peu à peu le vaste chuchotis en une voix qui se précise. Tantôt sinueuse et caressante comme une courtisane, parfois directe et brutale comme un homme « pratique », elle disait :

— Il faut savoir saisir la flamme de vérité qui fuit et s’enfonce au mensonge des symboles. Oui, le bien est toujours récompensé ; le mal, toujours puni. Car j’appelle bien ce qui réussit et j’appelle mal ce qui échoue. Toutes choses se jugent aux résultats. Fais semblant d’écouter les paroles des hommes, et cependant regarde les gestes de leurs mains. Beaucoup de paroles sont folles, presque tous les gestes sont sages. Mais rarement les lèvres ont assez de séduction persuasive ; les mains, assez de vigueur sournoise. Sois fort et sois habile, si tu veux le succès. Le succès ! c’est-à-dire l’argent, les honneurs, les femmes !

— Hélas ! tu promets des plaisirs qui s’affadiront bien vite jusqu’à me dégoûter. En échange, tu réclames des violences et des fraudes dont la seule pensée me fait rougir, brûlure intérieure. Tu es, je commence à le deviner, la voix banale que presque tous écoutent. Or je ne suis pas le faible que ta brutalité peut émouvoir. Tu ne montes point jusqu’aux sommets que j’aime ; encore que tu cries comme une foule soudain sincère, j’ai été obligé de descendre pour t’entendre ; voix de la vallée sociale, voix des larmes lâches et des rires chatouillés qui un jour se déchirent et sanglotent, je ne t’écouterai point. Tu ferais de moi une apparence et un mouvement tournant, la bête ignoble qui rampe et serpente vers la proie qu’elle trouvera trop pourrie pour satisfaire sa faim. Je veux que ma vie soit belle…

— Précisément. Tout ce qui embellit la vie…