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historicus

Je lui ai dit d’abord : « Notre siècle est étrange. »


arrien

Sans doute. Mais tu lui as adressé d’autres paroles ?


historicus

Je lui ai dit encore : « Insensé, tu crois m’exiler, moi qui suis citoyen non pas seulement du monde Aujourd’hui, mais de tous les Hiers. Le véritable exilé, n’est-ce pas toi, enfermé dans une Ville, enfermé dans une époque ? Tu vis dans un siècle aride et étroit, rocher qui brûle, qui grouille de serpents et de scorpions et que la mer entoure de toutes parts. Moi je possède un vaisseau enchanté, que tu ignores et que César ignore. Mon navire invisible me transporte sur l’océan des temps et, quand je veux, il aborde, pour le repos et le sourire, aux siècles les plus beaux, aux îles les plus fleuries. »

Mais Historicus, tournant sur lui-même, sembla cueillir du regard tout l’horizon. Il reprit :

Arrêtons-nous une minute. Car je vois approcher le beau Serenus et la belle Serena.

Nobles et sveltes, un jeune homme et une jeune femme marchaient enlacés. Leur mutuel amour était célèbre dans toute la Ville, mais les épicuriens vantaient surtout la pureté et la grâce souriante de leur doctrine. Serena avait une mémoire étonnante. Elle pouvait, après huit jours, réciter entière une tragédie entendue une seule fois et on prétendait qu’elle savait lettre par lettre et sans lacune les nombreux traités d’Epicure. Or cette jeune femme charmante citait moins souvent que les ignorants. Son amant était citoyen romain et se nommait Appius Domitillus. Mais, pour son calme aimable et son invincible ataraxie, on l’appelait toujours Serenus. Elle était de race grecque. Mais une femme, déclarait-elle, n’a d’autre patrie que son amour. Elle ajoutait : « Je suis née le jour où j’ai rencontré Appius.