Page:Ryner - Les Esclaves, 1925.djvu/19

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sibles. Jamais on ne mettra en prison un malheureux parce qu’il invoque la pitié de ses frères.

Sostrata (à Stalagmus). — Regarde au delà de ce monde horrible. C’est une nécessité que la lumière succède enfin à la nuit. Regarde jusqu’à ce que tu aperçoives l’aurore de la liberté.

Stalagmus. — Plusieurs fois, j’ai cru apercevoir l’aurore. Toujours ses lueurs étaient plus sanglantes qu’un crépuscule sur une mer qui attend l’orage. Et elles s’éteignaient promptement… Voici de nouveau du sang… oh ! que de sang !… et des cris de douleur, et des cris de rage, et des cris de triomphe, et des cris de joie, et de grandes acclamations : « Nous sommes libres ! nous sommes libres !… » Coule vite, fleuve de sang ; et toi, buée obscure qui t’élèves sur son passage, disperse-toi. Mes yeux veulent voir si, derrière vous, la terre, enfin, sera féconde.

Long silence.

Stalagmus se laisse tomber sur un escabeau et plonge sa tête dans ses mains. Des sanglots le secouent.

Sostrata. — Tu pleures ?

Palinurus. — Qu’as-tu pu voir de plus affreux ?

Tous. — Qu’as-tu vu ? Qu’as-tu vu ?

Stalagmus (se relevant). — Hélas ! hélas ! mille fois hélas ! On dit encore - combien durera ce mensonge ? — que maintenant tous les hommes sont libres. Mais les fils de ton ventre, ô femme, sont toujours esclaves. Et voici comment les écrase le chaos nouveau et voici de quel métal plus lourd sont faites leurs chaînes…