Page:Ryner - Les Véritables entretiens de Socrate, 1922.djvu/62

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c'est de m'évader quelques instants hors du tombeau de chair. Ces évasions d'une heure, ces résurrections précaires, me donnent le seul espoir de l'évasion définitive, de la renaissance pour toujours. Par un bond qui s'appelle la mort, je remonterai, ô joie, dans le char de lumière et je volerai sur la trace des dieux.

— Ne confonds pas, mon Platon, le bonheur avec l'épanouissement d'une ivresse ou d'une volupté. Le vrai bonheur se reconnaît à ceci qu'il ne s'accompagne point de lyrisme et de vertige. Il ignore les élans et les brusqueries, tous les bondissements qui retombent. Je n'interdis ni les voluptés, ni les vastes pensées incertaines. Mais j'ai pitié de celui qui rend ces éclairs pour le durable soleil du bonheur. C'est ton durable bonheur qu'il te faut allumer. Homme, marche sur la terre, au lieu de rêver que tu voles dans le ciel. On se réveille de tous les rêves, et combien de réveils sont des déceptions. Fais aujourd'hui ton travail d'aujourd'hui. S'il y a un demain après là mort, ce que j'ignore, attends l'aurore nouvelle pour commencer le travail du jour nouveau.

Et, tout souriant :

— Tu crois obéir à l'oracle que je vais répétant: Connais-toi toi-même. Mais tu regardes tes ténèbres, quand je conseille que tu cherches ta lumière.

— Je vois des lumières, et les plus précieuses, dans ce que tu appelles mes ténèbres.

— Les lumières que tu crois voir n'ont rien de réel. Elles sont filles de tes yeux obstinés, de leur fatigue et de ton désir.

Il ajouta :

— Quand Phidias dit à un apprenti : « Connais-toi