Page:Ségur - Témoignages et souvenirs.djvu/203

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de fantômes. Nous gravîmes enfin plusieurs pics élevés pour contempler la chaîne du mont Blanc sous tous ses aspects.

Une comparaison frappante et mélancolique se présente presque involontairement à l’esprit tandis qu’on opère l’ascension de ces grandes montagnes, et le bon saint François de Sales, qui aimait tant à se servir des objets que lui présentait la nature comme d’un point de départ pour s’élever à la contemplation des vérités éternelles, dut faire plus d’une fois cette réflexion en gravissant les hauteurs de sa chère Savoie.

Quand on part pour une ascension longue et périlleuse, on passe d’abord au milieu de riantes vallées, près du clocher connu et aimé du village on ne voit partout que verdure, fleurs aux doux parfums, spectacle aimable et plein d’espérance : le chemin est uni, la pente est insensible : ce n’est que le début du voyage. Peu à peu, la montée devient plus rapide, le chemin plus difficile. À mesure qu’on avance, la nature s’assombrit ; elle perd, morceau par morceau, ses charmes et ses enchantements ; la verdure s’en va, les fleurs passent avec leurs parfums ; bientôt les maisons du village et le clocher même qui les domine disparaissent aux regards. On avance toujours, et l’air devient plus rare, et les obstacles, les glaciers, les précipices se multiplient sous les pas du voyageur. Alors malheur à lui s’il n’a pas un bâton solide et ferré pour soutenir ses pas, des cordiaux pour réparer ses forces et un guide pour lui montrer le chemin ! Livré à lui seul, il courrait le risque de s’égarer sans retour, de rouler au fond d’un abîme ou de tomber sur le chemin, à bout de courage et de forces.

Il en est de même de cet autre voyage qu’on appelle la vie. Au début tout est riant, plein d’illusion, d’innocence et de foi naïve : c’est la joie sereine d’une belle et riante