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un monde inconnu

tesques, au tronc colossal, étendant dans tous les sens leurs rameaux vigoureux et tout chargés de longues et larges feuilles qui, comme des voiles de gaze mordorée, ondulaient au moindre souffle, et où la lumière s’irradiait en couleurs variées. D’autres enfin, de moindre hauteur, au tronc lisse et d’un vert plus vif, dressaient dans les airs leurs feuilles lancéolées, aux nervures épaisses, à la pointe armée d’une sorte de dard.

Tous ces arbres, d’essences diverses et inconnues à nos voyageurs, portaient des fleurs aux formes étranges et capricieuses ; mais ces fleurs, comme celles qui émaillaient les campagnes, étaient toutes de couleurs voilées et d’un éclat en quelque sorte attiédi. On n’y voyait point, comme sur la terre, ces rouges éclatants et d’une pourpre saignante, ces jaunes rutilants qui ressemblent à de l’or en fusion, ces bleus et ces violets vigoureux et profonds ; mais des roses pâles, des jaunes qui semblaient atténués par le temps, des bleus tendres, des rouges éteints aux reflets violâtres. Seul le blanc, que caressait la lueur légèrement bleutée de l’atmosphère, prenait à ce contact un lumineux éclat.

Sous cet heureux climat, où il n’y avait jamais d’hiver, les forêts ue dépouillaient jamais leur parure, les gazons n’étaient jamais sans fleurs ; elles se succédaient sans relâche et le regard en était toujours charmé.

Pour des yeux habitués aux couleurs violentes et quelquefois heurtées qu’affectent chez nous les plus riches floraisons, l’aspect général de la nature pouvait paraître un peu fade et un peu monotone ; mais la vue s’habituait bientôt à ces tons d’une douceur infinie et dont les mille nuances et la diversité délicate ravissaient et reposaient à la fois.

Les villes étaient nombreuses, construites comme celle qu’habitaient nos voyageurs et qui était, à proprement parler, la capitale du monde souterrain : car c’était là que siégeait, avec le Conseil Suprême, le chef de l’État. Mais la capitale ne se distinguait pas autrement des autres cités. Comme le sol appartenait à tous et que nul n’avait intérêt à disputer à autrui une part de la propriété commune, chacun avait pu donner à sa demeure les pro-