Page:Sélènes Pierre un monde inconnu 1896.djvu/285

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sottise et routine

« Trêve de discussion ! s’écria-t-il ; nous sommes les gardiens sévères des fonds que l’État a mis à notre disposition. Nous n’avons pas le droit de les hasarder dans des entreprises insensées, de les gaspiller pour satisfaire à de sottes vanités. Qu’on nous donne à atteindre un but précis et défini, et nous verrons ce qu’il convient de faire ; mais on ne nous apporte ici que des billevisées, rêves creux d’un cerveau malade. Nous serions coupables si nous leur prêtions l’oreille un instant de plus.

— Eh bien ! soit, s’écria Mathieu-Rollère exaspéré. Je vous apporte ici des résultats certains, scientifiquement constatés, contrôlés par des expériences réitérées. Aveugles qui ne voulez pas voir… Ah ! vous avez beau jeu à parler de gaspillage, à faire étalage de prudence et d’économie ! Est-ce qu’on ne prodigue pas chaque jour et à pleines mains l’argent de la France pour contenter de mesquines ambitions, ou pour fournir à d’encombrantes médiocrités l’occasion de se produire ? Et aujourd’hui qu’il s’agit de l’œuvre la plus considérable que la science moderne ait jamais tentée, vous parlez de scrupules et de conscience !… Yous êtes indignes du nom de savants, vous êtes des misérables ! »

La colère l’aveuglait ; on dut l’entraîner.

« Eh bien ! disait-il, pendant qu’on l’emmenait, je saurai me passer de vous. Il ne sera pas dit que la stupide obstination de quelques esprits encroûtés me fera renoncer & mes projets. Je réussirai enyers et contre tous… »

En parlant ainsi le vieux savant croyait fermement au succès ; mais lorsqu’il fallut venir à la réalisation de son projet, il se heurta à des difficultés qu’il n’avait pas prévues. Il avait tout d’abord songé à une souscription publique ; mais pour la mener à bon port il fallait de la réclame, beaucoup de réclame, et c’est là une denrée qui, avec les mœurs actuelles du journalisme, coûte horriblement cher. Les directeurs des journaux scientifiques le traitaient tout bas de vieux fou, et ne voulaient pas, en s’associant à une pareille utopie, compromettre le nom et la dignité de leurs revues. Quant aux autres organes de publicité, ils n’acceptaient quelques entrefilets qu’à des prix exorbitants.

Mathieu-Rollère, qui avait commencé par payer avec une inal-