Page:Sénèque - Œuvres complètes, Tome 3, édition Rozoir, 1832.djvu/198

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des hommes, tout en perdant leur vie en d’inutiles occupations, n’ignorent point la perte qu’ils en font. Le jour présent leur pèse, même au sein des honneurs qu’ils ont ambitionnés. Mais celui qui sait faire de son temps un usage avantageux pour lui, ne craint ni ne désire le lendemain. Ce n’est pas avoir long-temps vécu que d’avoir été long-temps sur la terre (ch. viii). Vivre c’est connaître le prix du temps. Ceux même qui en sont le plus prodigues, parce qu’ils n’en voient pas le terme, quel prix n’y attachent-ils pas dès qu’ils se croient en danger de mourir ? Si l’on pouvait savoir le nombre des années à venir, comme celui des années passées, on verrait trembler ceux qui n’ont plus que peu de temps à vivre. Mais la vie suit sa marche ainsi qu’elle a commencé, sans que rien annonce son terme qui peut venir â chaque pas : insensiblement elle s’écoulera : ni les ordres des rois, ni la faveur du peuple, ne pourront la prolonger ; et, que vous ayez ou non des affaires, la mort se présentera : bon gré mal gré il faudra la recevoir. Nous arrangeons notre vie aux dépens de notre vie même (ch. ix). Nos idées se portent toujours dans le lointain : nous ne prenons pas garde que tout délai est une perte pour le présent. La vie des personnes engagées dans les affaires est très-courte (ch. x) ; elle se partage en trois temps, le présent, le passé, l’avenir. Le présent est court, l’avenir est incertain, le passé est assuré ; mais il n’appartient qu’au sage de revenir avec satisfaction sur le passé : le méchant n’y peut trouver qu’une source d’amers repentirs. Les hommes occupés n’ont pas le temps de reporter leurs regards en arrière, la vie se perd comme dans un tourbillon, le présent seul leur appartient ; mais il est si court que ce temps même leur échappe au milieu des préoccupations qui les agitent. Voulez-vous savoir combien ils vivent peu (ch. xi) ? Voyez comme ils désirent prolonger leur vie ! Des vieillards décrépits fatiguent les dieux de leurs prières : ils se mentent à eux-mêmes en se cachant leur âge ; et quand le moment fatal arrive, ils ne sortent point de la vie, ils en sont arrachés et se reprochent de n’avoir point su vivre. A cette existence agitée, Sénèque oppose la vie du sage qui s’est tenu loin des affaires, et pour qui la vie fut longue en tant que suffisante. Que faut-il entendre par personnes occupées ? Ce ne Sont pas seulement les plaideurs, les ambitieux, les flatteurs des grands, les coureurs d’encan, mais encore ceux qui portent dans les loisirs