Page:Sénèque - Œuvres complètes, Tome 3, édition Rozoir, 1832.djvu/23

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

perdre ce qui n’est pas à lui ? Que si l’injure ne préjudicie nullement auxbiens propres du sage, parce que la vertu les couvre de sa sauve-garde, concluons qu’on ne peut lui faire injure.

Demetrius, surnommé Poliorcètes13, ayant pris Mégare, demandait au philosophe Stilpon14 s’il n’avait rien perdu : Rien, répondit celui-ci ; car tous mes biens sont avec moi. Et cependant son patrimoine avait fait partie du butin, ses filles étaient captives, sa ville natale au pouvoir de l’étranger, et lui-même en présence d’un roi qui, entouré d’armes et de phalanges victorieuses, l’interpellait du haut de son triomphe. Stilpon lui ravit ainsi sa victoire, et, au sein d’une patrie esclave, témoigna qu’il n’était pas vaincu, qu’il n’éprouvait même pas de dommage. En effet, il avait avec lui la vraie richesse, sur laquelle on ne met pas la main15. Quant aux choses qu’on pillait et qu’on emportait sous ses yeux, il ne les jugeait pas siennes, mais accidentelles et sujettes aux caprices de la fortune : il n’avait pas pour elles l’affection d’un maître. Car enfin, tout ce qui arrive du dehors n’offre qu’une possession fragile et incertaine.

Voyez maintenant si un voleur, un calomniateur, un voisin puissant, ou quelque riche exerçant cette royauté que donne une vieillesse sans enfans16 étaient capables de faire injure à cet homme que la guerre, et ce fier ennemi, qui professait l’art sublime de forcer des remparts, n’avaient pu dépouiller de rien. Au milieu des glaives tirés de toutes parts, et d’une soldatesque courant en tumulte à la rapine, au milieu des flammes, du sang, des horreurs d’une ville prise d’assaut, au milieu