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Page:Sénèque - Œuvres complètes, trad. Baillard, tome I.djvu/419

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DES BIENFAITS, LIVRE II.

XII. Il est des choses qui coûtent beaucoup à ceux qui les donnent : d’autres sont beaucoup pour ceux qui les reçoivent et ne coûtent rien à donner. Parfois c’est un ami, et parfois un inconnu que l’on oblige. Le don est plus grand, à valeur égale, si c’est de ce don même que datent nos relations. On nous apporte tantôt des secours, tantôt des honneurs, tantôt des consolations. Il y a tel homme qui n’imagine rien de plus doux que de rencontrer un cœur où reposer son infortune. Tel autre, en revanche, aimera mieux qu’on s’occupe de son élévation que de sa vie même ; un troisième croira devoir plus à son libérateur qu’à l’auteur de son avancement. Toutes ces choses auront plus ou moins de prix, selon que le penchant du juge inclinera vers l’une ou vers l’autre.

Et puis, je choisis moi-même mon créancier ; mais un bienfait, souvent je le reçois de qui je ne l’eusse pas voulu ; parfois même c’est à mon insu qu’on m’oblige. Que feras-tu ? M’appelleras-tu ingrat si l’on m’a, sans mon aveu, grevé d’un bienfait que sciemment je n’eusse point accepté ; ou ne m’appelleras-tu point ingrat si je n’ai pas rendu ce qu’après tout j’aurai reçu ?

XIII. Un homme m’a obligé, et ce même homme ensuite m’a fait une injure[1]. Un seul bon office me fait-il une loi de dévorer tous ses outrages ; ou n’est-ce pas comme si je m’étais acquitté, dès qu’il a lui même annulé son bienfait par l’injure qui a suivi ? Comment après cela estimer si l’avantage reçu l’emporte sur le tort éprouvé ? Un jour entier ne me suffirait pas si je tentais d’énumérer toutes les difficultés. C’est, dit-on, refroidir la bienfaisance que de ne pas venger le bienfait, que de n’infliger aucune peine à ceux qui le renient. Mais, d’un autre côté, prends garde qu’on sera bien plus circonspect à l’accepter, si l’on court risque d’avoir à plaider, d’être inquiété quoique innocent. Nous-mêmes enfin, nous serons plus lents à donner : car on n’aime pas à donner aux gens malgré eux. Mais celui que son bon cœur et l’attrait seul d’une bonne œuvre déterminent à la faire, donnera d’autant plus volontiers à des hommes qui ne lui devront rien que s’ils le veulent. Bien mince en effet est la gloire d’une vertu qui prend ses sûretés avec tant de soin.

XIV. Sans loi d’ailleurs, les bienfaits seront moins nombreux, mais plus vrais ; or est-ce un mal de laisser le frein aux

  1. Voy. Lettres vi et lxxxi.