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DES BIENFAITS, LIVRE IV.

mettre nos biens, nous n’apportons à aucun acte un soin plus religieux qu’à celui dont les clauses ne nous concernent plus[1].

XII. Et certes alors quelle vive satisfaction de se dire : « Voilà un homme que je ferai plus riche : sa dignité recevra de cet accroissement de biens un nouveau relief. » Si l’on ne donnait que pour recevoir, il faudrait mourir intestat, « Vous appelez, dit-on, le bienfait une créance non remboursable : or une créance n’est pas chose par elle-même désirable. » Si nous parlons de créance, c’est au figuré et par métaphore. De même nous disons que la loi est la règle du juste et de l’injuste, ce qui ne fait pas qu’une règle soit désirable par elle-même.Nous sommes réduits à user de ces mots pour mieux faire entendre les choses. Quand je dis créance, on comprend une quasi créance. Veut-on savoir plus ? j’ajoute non remboursable, parce que toute vraie créance peut ou doit être remboursée. Il est si vrai que le bien ne doit pas se faire dans des vues d’intérêt, que souvent, comme je l’ai dit, nous devons le faire à nos dommages et périls. Ainsi je défends le voyageur entouré de brigands lorsque je pourrais passer mon chemin sans risque ; ainsi je soutiens l’innocent qui succombe sous l’accusateur en crédit, et je détourne sur moi les attaques d’une puissante cabale : le sombre costume dont je le débarrasse, je m’expose à le prendre à mon tour en face des mêmes adversaires, moi qui pouvais me ranger à l’écart, et contempler avec sécurité des débats qui ne me touchaient point. Ainsi je cautionne un condamné ; je fais tomber l’écriteau fatal cloué aux propriétés d’un ami, et je m’oblige envers ses créanciers ; ainsi, pour délivrer un proscrit, j’affronte moi-même la proscription. Quiconque veut acheter une maison à Tusculum ou à Tibur, afin de jouir d’un air salubre et d’une retraite d’été, ne dispute guère sur le revenu : l’a-t-il achetée, il faut l’entretenir. La bienfaisance n’a pas d’autre calcul ; tu me demandes ce qu’elle rapporte ? Je réponds : une bonne conscience. Ce qu’elle rapporte ? Dis-moi à ton tour ce que rapportent la justice, l’innocence du cœur, la grandeur d’âme,la chasteté,la tempérance ? Si tu cherches autre chose au delà d’elles-mêmes, ce n’est pas elles que tu cherches.

XIII. Que gagnent les cieux à accomplir leurs révolutions, et le soleil, à prolonger, à raccourcir les jours ? Tous ces phénomènes sont autant de bienfaits, car ils s’opèrent pour notre

  1. Voy. plus bas, chap. xxii.