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DES BIENFAITS, LIVRE VI.

d’être éternelle. S’il est vrai qu’on ait un vouloir lors même qu’on peut l’instant d’après ne l’avoir plus, refuserons-nous une volonté à l’être qui, par sa nature, ne peut pas ne point l’avoir ?

XXII. « Eh ! qu’ils s’arrêtent donc s’ils le peuvent. » C’est-à dire, que tous ces grands corps séparés par d’immenses intervalles, et placés dans l’espace comme sentinelles de l’univers, désertent leurs postes ; que brusquement, bouleversant toutes choses, les astres se heurtent contre les astres ; que la concorde des éléments rompue, le monde céleste coure en vacillant vers sa ruine ; que cet ensemble merveilleux dans sa rapidité laisse inachevées au milieu de leur carrière des révolutions promises pour tant de siècles ; que ces globes qui vont tour à tour et reviennent à propos, qui maintiennent avec tant de justesse l’équilibre du monde, s’abîment dans une conflagration subite ; que ce mécanisme si varié se déconcerte et se confonde en un seul chaos. Que tout devienne la proie du feu absorbé ensuite par d’inertes ténèbres, et qu’un gouffre sans fond dévore cette foule de divinités. Faut-il, pour vous fermer la bouche, que tout cela croule à la fois, ce qui vous sert en dépit de vous, ce qui marche à votre profit, bien qu’à ces mouvements préside une cause plus grande et primordiale ?

XXIII. Ajoutez que nulle contrainte étrangère n’a d’action sur les dieux : leur loi à eux, c’est leur éternelle volonté. Ce qu’ils réglèrent une fois, ils ne le changent plus. On ne peut donc imaginer qu’ils fassent rien contre leur vouloir ; car pour eux, ne pouvoir cesser, c’est vouloir continuer, et jamais un premier dessein ne les expose au repentir. Sans doute il ne leur est permis ni de s’arrêter ni de marcher en sens contraire ; mais le seul motif, c’est que leur propre autorité les enchaîne à leur décision, ce n’est pas faiblesse s’ils persistent, seulement il leur répugne de s’écarter de la meilleure voie qu’ils se sont souverainement tracée. Or, dans l’organisation primitive, dans l’arrangement de l’univers ils nous eurent en vue, nous aussi, et ils ont tenu compte de l’homme. Ne croyons donc pas qu’ils ne parcourent l’espace et ne poursuivent leur œuvre que pour eux, car nous-mêmes nous entrons dans le plan de cette œuvre. Nous devons donc au soleil, à la lune, à toute puissance céleste ce qu’on doit à des bienfaiteurs[1] : en vain ont-ils un plus noble principe d’impulsion, un but plus auguste à atteindre, ils ne laissent pas de nous être utiles. Que dis-je ? Ils se

  1. Voy. De la colère, II, xxvii, et Quest. nat. , VI, iii.