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DE LA COLÈRE, LIVRE II.


XVIII. Nous avons traité de ce qui concerne la colère en elle-même : venons aux moyens de la guérir. Je les divise en deux classes ; ceux qui l’empêchent de naître, et ceux qui, une fois née, préviennent ses écarts.

Dans le régime du corps humain, il y a des prescriptions pour le maintien de la santé, il y en a pour la rétablir : ainsi, veut-on repousser la colère, le traitement sera autre que pour la calmer et la vaincre. Certains préceptes embrasseront la vie entière ; et l’éducation et les âges suivant y auront leur part. L’éducation réclame les plus grands soins, ces soins si féconds dans l’avenir ; car s’il est aisé de façonner une âme encore tendre, il ne l’est pas d’extirper des vices grandis avec nous. Les âmes nées ardentes sont les plus ouvertes à la colère : en effet, comme il y a quatre éléments, le feu, l’eau, l’air et la terre, il y a leurs propriétés correspondantes qui sont la chaleur, l’humidité, la sécheresse et le froid. Et ainsi, les variétés de lieux, de races, de tempéraments, de penchants, proviennent du mélange des quatre principes ; et les divers caractères sont plus ou moins prononcés selon que tel ou tel élément y domine. De là vient aussi, qu’un pays s’appelle humide ou sec, froid ou chaud. Les animaux et les hommes se différencient de la même manière.

XIX. Ce qui importe, c’est dans quelle mesure chacun de nous participe du chaud et de l’humide : celui des deux éléments qui prévaudra déterminera nos penchants. L’élément chaud rend l’homme irascible : car le feu est actif et opiniâtre. L’élément froid fait l’homme timide : le froid étant un principe qui engourdit et paralyse. Partant de là, quelques stoïciens ont dit que la colère prend naissance dans la poitrine, quand le sang bouillonne autour du cœur. Voilà, selon eux, son vrai siége ; et leur seule raison c’est que la poitrine est la plus chaude partie de tout le corps. Chez ceux où domine le principe humide, la colère croît par degrés : la chaleur en eux n’est pas toute prête, ils ne la doivent qu’au mouvement. C’est pourquoi les colères des enfants et des femmes sont plutôt vives que profondes et sont plus faibles à leur début. Dans l’âge où la fibre est plus sèche, nos transports sont véhéments, soutenus, mais n’augmentent pas ni ne gagnent beaucoup, une chaleur qui décline étant trop voisine du froid. Les vieillards sont difficiles, portés à la plainte, comme les malades, les convalescents et ceux chez qui la fatigue ou les pertes de sang ont épuisé la chaleur. Il en est de même des hommes que l’a