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LETTRES DE SÉNÈQUE

S’il en est autrement, ce qui n’est point de nous commencera à exercer sur nous un grand pouvoir. Or, qui voudrait faire fond sur la fortune, et se priver de ce qui n’est pas soi ? Qu’est-ce que la vie heureuse ? C’est la sécurité, c’est un calme inaltérable. Qui nous donnera cet avantage ? La grandeur d’âme et la persévérance h exécuter les décisions d’un jugement sain. Comment y parvient-on ? En embrassant d’un coup d’œil la vérité tout entière ; en conservant, dans les actions, l’ordre, la mesure, la convenance, une disposition inoffensive et bienveillante, conforme à la raison, qui ne s’en départ jamais, et qui est tout à la fois digne d’amour et d’admiration. Enfin, pour formuler ma pensée en peu de mots, l’âme du sage est comme celle de Dieu. Que peut désirer celui qui a toutes les vertus en partage ? Car si des objets qui ne sont point la vertu pouvaient contribuer à l’état le plus heureux, le bonheur consisterait en choses sans lesquelles il ne saurait exister. Et quoi de plus insensé, quoi de plus honteux que d’attacher la félicité d’une âme douée de raison à des objets qui en sont dépourvus ?

Il est cependant des philosophes qui regardent ces objets comme des accessoires du souverain bien, incomplet, selon eux, si la fortune ne le favorise. Antipater aussi, une des graves autorités de notre secte, dit : « qu’il accorde quelque influence aux objets extérieurs, mais fort peu. » Que penseriez-vous, je vous prie, d’un homme qui trouverait le jour insuffisant, si l’on n’allumait en même temps quelques petites flammes ? Auprès de la clarté du soleil, quel effet pourrait produire une étincelle ? Si la vertu ne vous suffit pas seule, vous y voulez donc ajouter, ou ce calme que les Grecs appellent άοχλησία ou le