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A LUCILIUS. — XCII.

le ciel ; de même notre âme, qui peut s’étendre jusqu’où bon lui semble, a été formée par la nature de manière à vouloir comme les dieux, et à faire usage de ses forces pour remplir l’espace qui lui appartient. Ce n’est pas en s’aidant d’une force étrangère qu’elle prend un essor élevé ; ce serait un grand travail que d’aller au ciel ; elle y retourne ; c’est pour cette route qu’elle a pris naissance. Elle marche hardiment, méprisant toutes choses, et ne daigne pas porter en arrière un regard sur les richesses. L’or et l’argent, très-dignes de ces ténèbres au sein desquelles ils gisaient, elle ne les estime point d’après ce brillant qui frappe les yeux du vulgaire, mais d’après la fange primitive dont notre cupidité les a séparés, en les arrachant aux entrailles de la terre. Elle sait que les véritables richesses ne sont pas où on les entasse ; que c’est son âme qu’il faut remplir, et non son coffre-fort. On peut donner à l’âme l’empire universel, la mettre en possession delà nature ; c’est un domaine qui lui appartient. Que l’Orient et l’Occident soient ses limites ; qu’elle possède l’univers à la manière des dieux ; qu’elle regarde d’en haut l’opulence des riches, dont aucun n’est aussi joyeux de ses possessions qu’affligé de celles d’autrui. Élevée à cette hauteur, elle considère le corps comme un fardeau nécessaire ; elle ne le chérit plus, elle en prend soin ; destinée à commander, elle ne se soumet pas à lui obéir. Quiconque est esclave du corps, n’est pas libre ; car, sans parler des autres maîtres que nous a trouvés notre trop grande sollicitude pour le corps, le corps est par lui-même un maître morose et difficile. L’âme tantôt sort paisiblement, tantôt s’échappe avec énergie du corps, et ne cherche point