Page:Sénèque - Œuvres de Sénèque le philosophe, Tome 2, trad Baillard et du Bozoir, 1860.djvu/336

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piquent de bon goût ; il en est qui se donnent pour érudits. Certains ne peuvent souffrir l’orgueil, ou la résistance. Vous en trouvez dont la colère dédaignerait de tomber sur un esclave, tandis que d’autres, tyrans cruels à la maison, sont hors de chez eux la douceur même. L’un, si on le sollicite, y voit de l’envie ; qu’on ne demande rien à l’autre, il se croit méprisé. Nous ne sommes pas tous vulnérables par le même point.

XI. L’essentiel est donc de savoir son endroit faible pour y porter secours. II n’est pas bon de tout voir, de tout entendre. Nombre d’injures doivent passer inaperçues devant nous : les ignorer, c’est ne les point avoir reçues. Voulez-vous vaincre la colère ? réprimez la curiosité. Celui qui s’enquiert de tout ce qui s’est dit sur son compte, et qui va exhumant les propos les plus secrets de l’envie, trouble lui-même son repos. Que de choses innocentes, dénaturées par l’interprétation qui leur donne les couleurs de l’injure ! Patientons donc pour les unes, moquons-nous des autres, ou bien pardonnons. Entre mille moyens de prévenir la colère, le plus fréquent à employer c’est de tourner la chose en badinage et en plaisanterie. Socrate, ayant reçu un soufflet, se contenta, dit-on, de remarquer « qu’il était fâcheux d’ignorer quand on devait sortir avec un casque. » L’injure est moins dans la manière dont elle est faite que dans celle dont elle est reçue. Or, je ne vois pas que la modération soit chose si difficile, quand je vois des tyrans, enflés de leur fortune et d’un pouvoir sans bornes, mettre un frein à leurs violences habituelles. Témoin Pisistrate, tyran d’Athènes : un de ses convives dans l’ivresse s’était longuement répandu en reproches contre sa cruauté. Il ne manquait pas