Page:Sénèque - Œuvres de Sénèque le philosophe, Tome 2, trad Baillard et du Bozoir, 1860.djvu/337

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autour du prince de gens qui voulaient prendre pour lui fait et cause, qui lui soufflaient à l’envi le feu de la vengeance ; mais il se laissa paisiblement outrager, et répondit aux instigateurs : « Je ne lui en veux pas plus qu’à un homme qui se jetterait sur moi les yeux bandés. » Que d’hommes se créent des sujets de plainte sur de faux soupçons, ou sur des torts légers qu’il s’exagèrent !

XII. Souvent la colère vient à nous ; plus souvent nous allons à elle, nous qui, loin de l’attirer jamais, devrions, quand elle survient, la repousser. Mais nul ne se dit : « Cette même chose qui m’indigne, je l’ai faite ou j’ai été prêt à la faire. » On ne juge pas l’intention de l’auteur, mais l’acte tout seul ; et pourtant il faudrait voir s’il l’a commis par mégarde ou volontairement, par contrainte ou par erreur ; s’il a écouté la haine ou son intérêt, s’il a suivi sa propre impulsion ou celle d’autrui dont il n’aurait été que l’instrument. Prenons en considération l’âge ou le rang de l’offenseur, afin d’apprendre à tolérer par humanité ou à souffrir par humilité.

Enfin mettons-nous à la place de celui qui nous irrite : notre susceptibilité vient parfois des iniques prétentions de l’amour-propre qui refuse d’endurer ce qu’il voudrait faire subir aux autres. On n’attend pas pour éclater ; et néanmoins le plus grand remède de la colère, c’est le temps : il amortit le premier feu, et dissipe, ou du moins éclaircit le nuage qui offusque la raison. Un jour, que dis-je ? une heure suffit pour atténuer une partie des motifs qui vous emportaient, ou même pour les faire tous évanouir. Si l’on n’obtient rien par le délai, on aura du moins prouvé que la justice, et non la colère, dicte l’arrêt. Quoi que vous vouliez approfondir, abandonnez-le au temps :