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A LUCILIUS. — XCIV.

nature ne renseigne point. En second lieu, l’homme que l’on vient de guérir d’une fluxion ne peut pas, aussitôt qu’il vient de recouvrer la vue, la rendre à d’autres. Celui qu’on a délivré du mal moral peut en délivrer autrui. 11 n’est pas besoin d’exhortations ni même de conseils pour que l’œil juge des couleurs ; sans qu’on l’avertisse, il saura distinguer le blanc du noir ; mais l’esprit a besoin de beaucoup de préceptes pour discerner ce qu’il doit faire dans la vie. Pourtant le médecin ne se contente pas de guérir ceux qui ont mal aux yeux ; il leur donne aussi des avis. N’allez pas, dit-il, exposer trop tôt un organe faible à une lumière trop vive : passez d’abord des ténèbres à un demi-jour ; puis osez davantage, et accoutumez-vous graduellement à supporter l’éclat de la lümière. Ne vous mettez pas à l’étude après avoir mangé ; ne forcez pas vos yeux, , quand ils sont encore pleins et gonflés ; évitez un courant d’air et l’impression du froid sur le visage. Ces préceptes, et autres semblables, ne sont pas moins utiles que les médicaments : la médecine joint donc les avis aux remèdes.

« L’erreur, dit encore Ariston, est la cause de nos fautes : les préceptes ne nous ôtent pas l’erreur ; ils ne déracinent pas les opinions fausses sur le bien et sur le mal. » Je l’avoue : les préceptes seuls ne sont point assez efficaces pour écarter les préjugés ; mais il ne s’ensuit pas que joints à d’autres secours ils soient inutiles. D’abord ils rafraîchissent la mémoire ; puis ce qu’on ne voyait que confusément dans son ensemble, se montre, envisagé dans ses détails, plus distinctement. D’après votre système, vous pourriez dire aussi que les consolations et les exhortations sont superflues ; or, elles ne le sont pas ; donc les