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LETTRES DE SÉNÈQUE

Il est donc nécessaire d’être averti, et d’appeler au secours de nos bonnes intentions quelque sage conseiller qui, parmi tout ce bruit tumultueux de fausses opinions, fasse au moins entendre sa voix. Et quelle sera cette voix ? celle qui, à vos oreilles assourdies de vaines clameurs, viendra doucement murmurer des avis salutaires, et vous dira : Vous n’avez pas lieu de porter envie à ceux que le peuple appelle grands et heureux ; il ne faut pas que ces applaudissements troublent l’harmonie et le calme de votre âme ; il ne faut pas prendre en dégoût votre position tranquille à l’aspect de cet homme entouré de faisceaux et orné de la pourpre ; ne croyez pas celui pour qui on écarte la foule, plus heureux que vous, qu’un licteur repousse du chemin. Si vous voulez exercer un empire utile à vous-même, et qui ne soit incommode à personne, écartez vos vices. On voit beaucoup d’hommes porter la flamme dans les villes, renverser des remparts qu’avaient trouvés inexpugnables l’action de plusieurs siècles et les bras des guerriers pendant maintes générations ; élever des montagnes de terre au niveau des citadelles, et, à l’aide du bélier et d’autres machines de guerre, ébranler des murs merveilleux par leur hauteur ; chasser devant eux des armées, presser vigoureusement des ennemis en fuite, et, tout couverts du sang des peuples, arriver jusqu’à l’Océan. Mais ces mêmes hommes, avant de vaincre l’ennemi, avaient été vaincus par une passion. Nul n’à pu résister à leur attaque ; mais eux-mêmes n’avaient résisté ni à l’ambition ni à la cruauté ; et alors qu’ils semblaient chasser les populations devant eux, ces passions les chassaient devant elles.

Il cédait, le malheureux Alexandre, à la fureur dont il était