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A LUCILIUS. — XCIV.

possédé, lorsqu’il dévastait des contrées étrangères, et cherchait des terres inconnues. Pensez-vous qu’il fût sain de tête, lui qui commença par ravager la Grèce, sa nourrice ? qui à chaque cité enleva ce qu’elle avait déplus précieux ? qui voulut que Lacédémone cessât d’être libre, et Athènes d’élever la voix ? Non content des ruines de tant de cités que Philippe avait ou vaincues ou achetées, il va renversant çà et là d’autres villes ; il porte ses armes dans tout l’univers, et nulle part sa cruauté ne s’arrête de lassitude, à l’exemple des bêtes féroces qui mordent et déchirent plus que n’exige la faim. Déjà il a englouti plusieurs royaumes en un seul ; déjà les Perses et les Grecs redoutent le même homme ; déjà même des nations, que Darius n’avait point comptées sous ses lois, reçoivent de lui le joug. 11 veut aller au delà de l’Océan et du soleil ; il s’indigne de quitter les traces d’Hercule et de Bacchus, et de faire rebrousser chemin à ses armes victorieuses ; il va faire violence à 1a nature. Ce n’est pas qu’il veuille avancer ; mais il ne peut s’arrêter, semblable aux corps graves qui, une fois lancés, ne cessent d’aller que lorsqu’ils gisent sur la terre.

Et Pompée lui-même, ce n’était ni le courage, ni la raison qui lui conseillait les guerres étrangères ou civiles ; c’était l’amour insensé d’une fausse grandeur. C’est cette passion qui l’envoyait tantôt en Espagne attaquer Sertorius, tantôt acculer, traquer les pirates et pacifier les mers : tels étaient les prétextes dont il se servait pour prolonger sa puissance. Quel motif l’entraîna, et en Afrique, et au septentrion, et contre Mithridate, et dans l’Arménie et dans tous les recoins de l’Asie ? L’insatiable désir de s’agrandir, Pompée étant le seul auquel Pompée ne parût pas assez grand. Qui poussa C. César à sa perte,