Page:Sénèque - De la vie heureuse.djvu/50

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maîtres et modérateurs ; nous céderons quelque chose à ses prières, et rien à ses ordres. Celui au contraire qui donne le pas à la volupté n’obtient ni l’une ni l’autre ; il laisse échapper la vertu, et encore, loin de posséder les plaisirs, les plaisirs le possèdent : ou leur absence le torture, ou leur excès le suffoque : malheureux, s’ils le délaissent ; plus malheureux, s’ils l’assiègent en foule ! Comme le navigateur, surpris dans les mers des Syrtes, tantôt il demeure à sec, tantôt la vague le roule et l’emporte au loin. Tel est l’effet d’une intempérance excessive et d’un aveugle amour des richesses ; car à qui prend un but mauvais pour un bon, il est dangereux de réussir. C’est avec fatigue et péril que nous chassons les bêtes féroces ; leur capture même ne donne qu’une possession inquiète : souvent en effet elles ont mis leurs maîtres en pièces. De même, quiconque a de grandes voluptés sous la main se trouve n’avoir pris que des monstres : il est la proie de ses captifs. Plus ceux-ci sont forts et nombreux, plus il devient chétif esclave, et plus il a de maîtres, lui que le vulgaire appelle heureux. Pour suivre jusqu’au bout la similitude, l’homme qui fouille les retraites du gibier, qui met une si grande importance

... à lui tendre ses rets,
Qui de sa meute ardente investit les forêts,

celui-là, pour relancer des animaux, abandonne de plus