Page:Sénèque - De la vie heureuse.djvu/58

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ni comme un mal ce qui n’est l’effet ni de la vertu ni de la méchanceté ; puis d’être inébranlable à tout mal qui résulterait du bien, et de te rendre, comme tu dois l’être, l’image de la divinité. Pour une telle entreprise que te promet-on ? Un privilège immense, égal à celui de Dieu même. Plus de contrainte, plus de privation ; te voilà libre et inviolable ; plus de perte à subir, plus de vaine tentative, plus d’obstacles. Tout marche selon tes vœux ; tu ne connais plus de revers ; rien ne contrarie tes prévisions ni tes volontés. « Eh quoi ! la vertu suffirait pour vivre heureux ? » Parfaite et divine qu’elle est, pourquoi n’y suffirait-elle pas ? Elle a même plus qu’il ne faut. Que peut-il manquer, en effet, à un être placé en dehors de toute convoitise ? Qu’a-t-elle affaire de l’extérieur, l’âme qui rassemble tout en elle ? Quant à l’homme qui chemine vers la vertu, quels que soient déjà ses progrès, il a besoin de quelque indulgence de la fortune, lui qui lutte encore dans l’embarras des choses humaines, tant qu’il n’a pas délié ce nœud et rompu tout lien mortel. Où donc est la différence ? C’est que les uns sont attachés, les autres enchaînés ; d’autres n’ont pas un membre qui soit libre. L’homme qui touche à la région supérieure, qui a gravi plus près du faîte, ne traîne après lui qu’une chaîne lâche ; sans qu’il soit libre encore, il est déjà bien près de l’être.