Aller au contenu

Page:Sénèque - De la vie heureuse.djvu/70

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.


encore. Faut-il s’étonner qu’on ne parvienne pas jusqu’au sommet, quand on place son but à une telle hauteur ? Un homme de cœur, au contraire, admirera ceux qui, lors même qu’ils tombent, montrent cependant une audace généreuse. Elle est noble, l’ambition de l’homme qui, consultant moins ses forces que celles de la nature humaine, s’essaye à de grandes choses, fait effort et se crée en lui-même des types de grandeur que les âmes le plus virilement douées seraient impuissantes à reproduire. L’homme qui s’est dit d’avance : « Un arrêt de mort et l’aspect du supplice me laisseront également impassible ; toutes les épreuves, quelles qu’elles soient, je les subirai, et mon âme prêtera sa force à mon corps. Absentes ou présentes, les richesses m’inspirent le même mépris : je ne serai ni affligé si je les vois ailleurs que chez moi, ni fier si elles m’entourent de leur éclat. Que la fortune me vienne ou se retire, je ne m’en apercevrai pas. Je regarderai toutes les terres comme à moi, les miennes comme à tous. Je vivrai en homme qui se sent né pour ses semblables, et je rendrai grâce à la nature d’une si belle mission. Pouvait-elle mieux pourvoir à mes intérêts ? Elle m’a donné moi seul à tous, et tous à moi seul. Ce que j’aurai, quoi que ce soit, je ne le garderai pas en avare, je ne le sèmerai pas en prodigue : je ne croirai rien posséder mieux