Page:Sénèque - Oeuvres complètes, trad Charpentier, Tome III, 1860.djvu/120

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Rejetez donc l’accablante pensée qu’il eût pu vivre davantage. La trame de ses jours n’a pas été brusquement rompue ; c’est chose où le hasard n’intervient jamais. La nature paie à chacun ce qu’elle a promis. Invariable dans sa marche, elle est fidèle à ses engagements, sans y retrancher comme sans y ajouter : nos vœux, nos affections n’y peuvent rien. Chacun aura tout ce qui, le premier jour, lui fut assigné. Dès que l’on voit la lumière, on entre dans le chemin de la mort, on se rapproche du terme fatal, et ces mêmes années dont s’enrichit la jeunesse, la vie s’en appauvrit.

L’erreur générale, c’est de ne croire pencher vers la mort que dans la vieillesse et sur le déclin de nos jours, tandis que l’enfance d’abord, puis la jeunesse et tous les âges nous y poussent. La destinée poursuit son œuvre : elle nous dérobe le sentiment du trépas qui, pour mieux nous surprendre, se déguise sous le nom même d’existence. La première enfance se perd dans le second âge, qui à son tour devient puberté ; arrive ensuite la jeunesse, pour disparaître elle-même sous nos cheveux blancs. Chaque degré d’accroissement est, à le bien prendre, une décadence.

XXI. Vous vous plaignez, Marcia, que votre fils n’ait pas fourni une aussi longue carrière qu’il le pouvait. Mais d’où savez-vous si une carrière plus longue lui eût mieux valu, et si cette mort n’a point été une faveur pour lui ? Où sont de nos jours les destinées qui portent sur d’assez fermes bases pour n’avoir rien à craindre de la marche du temps ? Tout passe, tout s’évanouit chez les hommes, et il n’est pas de situation plus précaire et plus fragile que celle qui nous sourit davan-.