Page:Sénèque - Oeuvres complètes, trad Charpentier, Tome III, 1860.djvu/121

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tage. Le souhait des heureux devrait donc être de mourir ; car dans ces grandes vicissitudes qui vont bouleversant toutes choses, il n’y a de sûr que le passé. Qui vous assurait que cette beauté rare de votre fils, qui sous les yeux d’une impure cité prit la plus sévère pudeur pour sauvegarde, eût pu échapper aux maladies, et se conserver sans altération jusqu’à la vieillesse ?

XXII. Et l’âme aussi, n’a-t-elle pas ses mille souillures ? Les meilleurs naturels ne tiennent pas en vieillissant toutes les promesses de leur jeunesse ; trop souvent ils tournent au mal. Plus tard, et avec plus de honte, la volupté les gagne, et les force à déshonorer de nobles débuts, ou, de bonne heure voués à tous les excès de la table, leur affaire essentielle devient leur manger et leur boire. Et les incendies, les chutes d’édifices, les naufrages, le fer déchirant du médecin qui extrait des os de corps vivants, dont les mains tout entières se plongent dans nos entrailles, et opèrent, au milieu de souffrances compliquées, sur les plus honteuses parties de nous-mêmes ! Ajoutez l’exil :votre fils n’était pas plus innocent que Rutilius ; la prison : il n’était pas plus sage que Socrate ; le suicide : il n’était pas plus vénérable que Caton ; et Caton se perça volontairement le sein. En présence de telles perspectives, avouez que la nature s’est montrée généreuse d’avoir promptement mis en lieu sûr ceux à qui la vie réservait un pareil salaire. Rien de si fallacieux, rien de si traître que la vie : non, personne n’en voudrait, s’il ne la recevait à son insu. Puis donc que le mieux serait de ne pas naître, comptez qu’après cette faveur, la plus grande est de cesser d’être au plus tôt, de rentrer bien vite dans le grand tout.