Page:Sénèque - Oeuvres complètes, trad Charpentier, Tome III, 1860.djvu/171

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Je le répète, c’est pour l’intérêt de ceux qu’il veut élever au comble de la gloire que Dieu leur apprête matière à déployer leur force et leur vertu, ce qui ne peut se faire que dans des conjonctures difficiles. Le pilote se signale dans la tempête, et le soldat dans la mêlée. Comment puis-je connaître votre courage dans la pauvreté, si vous nagez dans l’opulence ? votre constance contre l’ignominie, le déshonneur, les haines populaires, si vous vieillissez au milieu des applaudissements, si rien n’ébranle votre crédit, si la faveur générale s’empresse à vous chercher ? Comment juger de quelle âme vous supporteriez la perle de vos enfants, si vous n’en avez aucun à regretter ? Je vous ai entendu donner des consolations à d’autres ; mais j’aurais voulu vous voir vous consoler vous-même, vous interdire la douleur. Ne redoutez donc pas ces aiguillons dont les dieux se servent pour réveiller votre courage : l’adversité est une occasion pour la vertu.

Les vrais malheureux sont ceux qui s’engourdissent dans l’excès du bonheur, comme ces navigateurs qu’un calme plat enchaîne au milieu d’une mer immobile ; le moindre accident sera pour eux une chose extraordinaire. Les chagrins paraissent plus amers à qui ne les connut jamais, de même que le joug est plus dur au front encore neuf et tendre. Le soldat novice pâlit à l’idée d’une blessure ; un vétéran regarde avec intrépidité le sang qu’il perd ; il sait qu’il a plus d’une fois acheté la victoire à ce prix.

Ainsi Dieu fortifie, essaie, exerce ses élus, ses favoris. Ceux, au contraire, qu’il semble traiter avec plus de douceur et de ménagement, il les garde comme une proie sans défense pour