Page:Sénèque - Oeuvres complètes, trad Charpentier, Tome III, 1860.djvu/173

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rappelassent à la vertu, que de regorger d’énormes, d’excessives prospérités ? On meurt plus doucement l’estomac vide ; on crève par l’indigestion. Dieu suit le même procédé avec les gens de bien que le maître avec ses disciples, envers lesquels il est plus exigeant et plus sévère en proportion des espérances qu’ils donnent. Croyez-vous que les Lacédémoniens haïssent leurs enfants, parce qu’ils éprouvent leur courage par des flagellations publiques ? Les pères eux-mêmes exhortent leurs fils à endurer avec constance les coups de fouet ; en les voyant déchirés, demi-morts, ils les conjurent encore de tenir bon et d’offrir leurs corps blessés à de nouvelles blessures.

Est-il donc surprenant que Dieu mette à de rudes épreuves les âmes généreuses ? L’apprentissage de la vertu n’est jamais doux et facile. La fortune nous frappe et nous déchire : souffrons. Ce n’est point une persécution, c’est une lutte. Nous serons d’autant plus forts, que nous l’aurons plus de fois soutenue. Les membres les plus vigoureux sont ceux qui travaillent et fatiguent le plus. Il faut nous mettre à l’école de la fortune, pour qu’elle nous endurcisse elle-même contre ses propres coups. Insensiblement elle nous rendra capables de lui faire tête. L’habitude des périls nous en inspirera le mépris. Ainsi le nautonier s’accoutume à supporter la mer ; le laboureur a la main calleuse ; le soldat, pour lancer les traits, se fait un bras robuste, et le coureur acquiert la souplesse du jarret. La partie du corps la plus solide est celle qu’on exerce. A force de souffrir les maux, l’âme finit par les braver. Vous en aurez la preuve, si vous voyez tout ce qu’une vie rude et pénible donne à des nations dénuées de tout et que fortifie leur indigence même. Considérez ces peuples où finit la paix de