Page:Sénèque - Oeuvres complètes, trad Charpentier, Tome III, 1860.djvu/231

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

bien de choses vous sont interdites, qui, grâce à vous, nous sont permises ! Je puis sans crainte parcourir toute la ville, quoique je n’aie personne pour m’accompagner, et que je n’aie d’arme ni chez moi ni à mon côté ; et vous, au milieu de cette paix qui est votre ouvrage, vous ne pouvez vivre désarmé ; il vous est impossible de vous dégager de votre grandeur ; elle vous tient constamment assiégé : vainement descendez-vous ; elle vous suit en tous lieux avec son imposant appareil. Voilà la servitude de la grandeur suprême : c’est de ne pouvoir s’abaisser ; mais cette impossibilité vous est commune avec les dieux, car le ciel les retient aussi captifs, et il leur est aussi peu permis qu’il serait pour vous peu sûr de descendre. Vous êtes attaché au faîte des grandeurs par des liens invincibles. Nos démarches à nous ne frappent que bien peu de personnes : nous pouvons sortir, rentrer, sans exciter l’attention publique, tandis qu’il ne vous est pas donné, plus qu’au soleil, de vous dérober aux regards. Autour de vous est une lumière éclatante qui attire tous les yeux, il vous semble simplement que voiissortez ; non, c’est un astre qui se lève. Vous ne pouvez proférer une parole sans qu’elle soit recueillie par tous les peuples, vous livrer à la colère sans faire trembler le monde, et frapper un seul homme sans ébranler ce qui l’entoure. Comme la foudre en tombant n’atteint que peu d’hommes, et les fait trembler tous ; de même, lorsque le pouvoir suprême exerce ses sévérités, la terreur est plus étendue que le mal ; et ce n’est pas sans motif : ce que l’on considère dans l’homme qui peut tout, ce n’est pas ce qu’il a fait, mais ce qu’il lui est possible de faire.

Il faut ajouter que, dans la condition privée, la patience avec