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Page:Sénèque - Oeuvres complètes, trad Charpentier, Tome III, 1860.djvu/29

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Il avait prodigué pour sa cuisine un million de sesterces, absorbé en débauches une foule de présents dus à la munificence des princes, et englouti l’énorme subvention du Capitole : criblé de dettes, il fut forcé de vérifier ses comptes pour la première fois ; il calcula qu’il ne lui resterait plus que dix millions de sesterces ; et, ne voyant pas de différence entre mourir de faim et vivre avec une pareille somme, il s’empoisonna. S’imaginer être pauvre avec dix millions de sesterces, quel luxe épouvantable ! Eh bien ! croyez après cela que le bonheur se mesure sur la richesse, et non sur l’état de l’âme !

XI. Il s’est donc rencontré un homme qui a eu peur de dix millions de sesterces, un homme qui a fui, par le poison, ce que les autres convoitent avec tant d’ardeur. Certes, ce breuvage mortel fut le plus salutaire qu’eût jamais pris un être aussi dégradé. Il mangeait déjà et buvait du poison, lorsque non seulement il se plaisait à ces énormes festins, mais encore s’en glorifiait ; lorsqu’il faisait parade de ses désordres ; lorsqu’il fixait les regards de toute la ville sur ses débauches ; lorsqu’il excitait à l’imiter une jeunesse naturellement portée au vice, même sans y être entraînée par de mauvais exemples. Tel est le sort des humains, quand ils ne règlent pas l’usage de leurs richesses sur la raison qui a ses bornes fixes, mais sur un appétit pervers dont les caprices sont immodérés et insatiables. Rien ne suffit à la cupidité, peu de chose suffit à la nature. La pauvreté dans l’exil n’est donc pas un mal : en effet, quel lieu si stérile qu’il ne fournisse abondamment à la subsistance d’un banni ? « Mais, dira-t-on, un exilé a besoin d’un vêtement et d’un domicile ». S’il ne lui faut absolument que ce qu’exige la nature, je réponds de sa demeure et de son