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Page:Sénèque - Oeuvres complètes, trad Charpentier, Tome III, 1860.djvu/38

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étalait à vos yeux les perles et les diamants ; l’éclat de l’opulence ne vous a point paru pour l’humanité le premier bien. Élevée avec soin dans une maison austère et amie des mœurs antiques, vous sûtes échapper à la contagion de l’exemple, si dangereuse pour la vertu même. Jamais on ne vous vit rougir de votre fécondité, comme si elle vous reprochait votre âge. Bien différente de ces femmes qui n’aspirent à d’autre gloire qu’à celle de la beauté, jamais vous n’avez ni caché votre grossesse, comme un fardeau nuisible aux grâces, ni étouffé dans vos entrailles l’espoir naissant de votre postérité ; jamais votre visage ne s’est souillé de fard, et de couleurs empruntées ; jamais vous n’avez aimé ces vêtements, qui n’ont d’autre destination que de laisser tout voir. Une beauté supérieure à toutes les autres, et qui ne craint pas les outrages du temps, fut toujours votre unique parure ; la chasteté, votre plus noble éclat.

Vous ne pouvez donc, pour autoriser votre douleur, mettre en avant le titre de femme ; vos vertus vous ont séparée des femmes vulgaires. Vous ne devez pas plus partager les pleurs que les vices de votre sexe. Les femmes mêmes ne vous permettront pas de vous dessécher de douleur sous le coup qui vous a frappée ; mais, après quelques larmes données à la nature, elles vous obligeront de reprendre courage ; je ne parle que de celles qu’une vertu éprouvée a rangées parmi les grands hommes. De douze enfants qu’avait Cornélie, le destin la réduisit à deux. Elle en avait perdu dix ; quel nombre ! et dix Gracques ; quelle perte ! Ses amis en pleurs maudissaient son destin : "Cessez, leur dit-elle, d’accuser la fortune qui m’avait donné des Gracques pour fils. « Une telle femme mé-